ISBN 9798780213901 (Tous droits réservés)

                                      Citation

Tu ne peux pas voyager sur un chemin sans être toi même le chemin

Bouddha

                                       Mon mot d’auteure

La vie m’a déplacé là, où je n’avais pas prévu d’aller.

Donc là, où il était bien question que je sois.

                                       Citation

Le hasard défait bien des choses.

(Yves Breton, Les chasseurs de continents).

                                                          Préambule

Je dois vous dire avant tout que ma qualité première est la ponctualité. Dans mon couffin de naissance devait se trouver une horloge, il est inutile de chercher la seule fois où je suis arrivée en retard quelque part. Honorer mes rendez-vous, même les plus déplaisants, a toujours été gage de ma réputation, alors quant à la question de prendre un train ou un avion, je vous laisse entendre le carillon retentir jusqu’à cinq heures avant l’embarquement, quitte à attendre dans un hall en plein courants d’air ! Toujours prévoyante et un peu angoissée des embouteillages, des grèves, allant même imaginer que le taxi pouvait perdre une roue sur le périphérique, j’ai évidemment développé une sorte de paranoïa du

                                        « ça n’arrive pas qu’aux autres ».

Jusqu’au jour où un simple trajet en train a pris des allures invraisemblables…

                                                                  1.

Nous sommes le dimanche 25 mars 1990, ma valise garnie de cols roulés et de jeans, puis d’une petite robe de soirée (histoire de ne pas être surprise par un cocktail de dernière minute) la trousse de maquillage et 100 ml de parfum…j’en diffuse partout où que je passe, une véritable addiction au Patchouli.

Bien suffisant pour trois jours en région cévenole, perdue dans une garrigue dont Montpellier fait sa belle. Toujours familière de cette ville aux différentes couleurs. Je m’y sens bien, j’ai des amis qui me sont chers là-bas mais à vrai dire, demain je suis invitée à un meeting politique d’un chaleureux copain à l’écharpe tricolore de député du département. Ces gens adorent s’entourer de la jeunesse en vogue, alors je joue le jeu sans écouter la moindre syllabe de son parti, je vote à l’opposé et il n’en saura rien mais je l’aime bien ce vieux beau, il me raconte des anecdotes croustillantes et me présente tous les gros costumes de l’Elysée ce qui m'offre un visa dans l’hémicycle.

Ma tasse de café fume, ma montre fétiche affiche son saphir sur 8 H 00, mon train est vers 12 H 00, je suis dans le bon timing des tendus ! Inutile de vérifier le billet rangé dans une enveloppe puis l’enveloppe dans une pochette et le tout au fond du sac. En bas de ma rue étroite m’attend le taxi à la station et souvent je croise le même chauffeur qui depuis le temps sait que je prends de l’avance comme on dit. Il s’amuse sur des boutades aux tons moqueurs  "Alors on part maintenant pour le train de demain ? "

Gare de Lyon et son horloge sur qui les parisiens ne comptent jamais me taquine de ses aiguilles bloquées depuis des mois, je m’installe dans un salon de transit, juste à côté du marchand de journaux et de la machine à boissons. Sur ma montre dont je ne peux me passer, il est 9 H 15 ce qui me laisse très largement le temps de bouquiner ELLE pour les tendances de l’été, le Paris-Match pour ses photos choc, le Point de vue pour les dernières du Gotha, puis le Monde malgré sa petite police d’écriture qui dilaterait la rétine d'un lynx.

Malgré ce temps d'avance, l'habitude de tout chronométrer n'a jamais échappé à quiconque de mon entourage de la même façon que la planification des évènements importants mais uniquement selon le savant calcul des chiffres. Impossible d'accepter un rendez-vous si la somme des chiffres additionnés entre le jour, le mois et l'année ( voir en supplément l'heure) était égale à six et si la rencontre me tenait vraiment à coeur, je conditionnais la chose jusqu'à ce que l'heure tombe sur le chiffre de la toute puissance, le neuf.  

11 h 00 à ma montre, je passe deux, trois coups de fil depuis la cabine à pièces dans cette salle d’attente bourrée de valises, entre les gosses des divorcés qui rentrent du week-end et les tousseurs qui partent en cure.

Dommage, habituellement je prends un train en fin d’après-midi pour le sud, de façon à déjeuner avec des amis au Train Bleu, bien avant que Nikita n’y soit tourné et que cela soit devenu une mode d’y poser son cul. J’apprécie tant ce décor chargé d’histoires de la Belle époque.

Montpellier est affiché au tableau, Hall 1 voie M, 12 h 15. Allons-y le train est à quai. Grimper et s'installer tranquillement dans le wagon, l'exercice est appréciable tant que mes écouteurs m'épargnent les coups de sifflets stridents. C’est la grande époque des discman, une magnifique invention après le walkman. Regarder le balai qu’effectuent ces voyageurs est un plaisir. Et voilà la cagole qui pleurniche...L’effet quai de gare où l’adrénaline cristallise la dopamine, le temps d’un baiser. Juste une photographie de la vie que l’on voudrait en noir et blanc de crainte de la vivre en sépia.

Le train part, sur du Puccini, j’ai la Caballé qui s’époumone dans le casque tout en cochant sur mon carnet les manifestations de mon séjour, après bien entendu cette soirée que je rendrai politiquement correcte par quelques entrées en matière qui plaisent toujours.

Des « Formidable ! Je vous ai trouvé formidable ! » ou alors « J’ai adoré votre discours ! Quel charisme ! » Bon, j’improviserai selon le menu !

J’eu la chance de ne trouver aucun compagnon de mauvaise fortune sur le siège voisin, un wagon peu encombré par des bambins malgré la période des vacances scolaires. La voie ainsi dégagée, je m’assoupissais tranquillement tout en savourant mes airs d’opéra jusqu’au moment où le promeneur à casquette se posta devant moi et sans le son de sa voix je devinais sa forme assertive.

- Votre billet s’il vous plaît.

(C’est fou ce qu’un uniforme peut rendre discourtois).

- Nous avons un souci Mademoiselle ! Enfin, vous avez un souci !

- Ah bon ? Lequel ?

- Vous partez où ?

- Et bien à Montpellier ! Dans ce train !

- Ah ! Pas du tout ! Vous avez embarqué à bord d’un train en destination de Marseille ! C’est le sud me direz-vous mais pas le même !

                                                                                 ...